Fort Dauphin, le 20 Fevrier 2019

J’avais 18 ans, quand j’ai assisté à l’incendie du Rova.

Beaucoup ce soir là, sont montés au Palais, ils ont sauvé ce qu’ils pouvaient. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient.

De la fenêtre parfaitement cadrée de la maison à Ambatovinaky, on voyait le feu. Nous mesurions déjà ce que nous perdions, sous nos yeux, impuissants. On savait que ce qui partait en fumée, c’était l’impalpable, la dimension sacrée.

Henri RATSIMIEBO a fait sa part, dans le plus strict respect de la Tradition ancestrale ésotérique malgache de la Construction.  

Cela a été un devoir et un honneur pour lui de participer à cette Réhabilitation architecturale du Rova en tant que Patrimoine : de la Porte Nord à l’Aigle au Temple, des Tombeaux aux Cases de bois royales, laissant hélas Besakana inachevé… Mais cela a également été un travail pénible, se heurtant à la stupidité et à l’ignorance.

Le sinistre et ce qui s’en est suivi, a révélé une politique patrimoniale négligente : délaissée des Pouvoirs publics, à l’image de nos infrastructures …

Un projet suscitant autant de passion, ne pouvait manquer de détracteurs: c’est peut être aussi son atout et sa faiblesse : pas de synergie commune et surtout pas de moyens. Ni juridiques, ni financiers, ni techniques.

Alors a qui s’adresser : Collectif ? Association ? Techniciens ? Ministère ? Olombe ?

Peut-on reconquérir une identité ? Re-être ?

S’atteler à transmettre un savoir immatériel est sans doute l’approche la  moins complexe, et plus pragmatique. Nous évoquerons plus tard les expressions de ces outils de transmission.

Concernant le Rova de Manjakamiadana, il y aura toujours l’avant et l’après 1995, comme il en a toujours été, en remontant le temps : l’avant et l’après bombardement de Tanamasoandro, l’avant et l’après enveloppement de pierre de Manjakamiadana, l’avant et l’après reconstruction de Besakana (par deux fois par ses Souverains)… une histoire de destructions et reconstructions perpétuelle.

Manjakamiadana a toujours été un lieu de prouesses architecturales.

Comprenons que le vrai drame n’est pas la destruction d’un monument en soi, mais celle d’un  site qui de tous temps a joué le jeu de l’éternelle reconstruction depuis sa création à Antananarivo par le roi Andrianjaka…

Que reconstruira-t-on ? Un palais ? Un cimetière ?  Un site ? Un quartier ? Une mémoire ?

L’habitat malgache, lui, vernaculairement, se reconstruit à l’infini : c’est la tradition qui se perpétue ! Elle se doit de respecter toujours une orientation, cosmogonie, etc…c’est cette science et conscience que nous avons trahie. Le drame de l’incendie, c’estce  temps que l’on perd, à ne pas offrir à nos Anciens un agora pour transmettre à la jeunesse les us et coutumes, le substrat culturel, la question de l’identité.

Acropole, nécropole : je ne suis pas partisane d’un Projet touristique. Je suis partisane d’un Projet culturel. Renouer avec la dimension sacrée. Renouer le dialogue générationnel.

CULTURE

Le devoir commun, c’est celui de la transmission. La reconstruction n’est qu’un outil.

Ne nous contentons pas d’un Projet-posture.

Le Rova de Manjakamiadana, contrairement aux autres Rova disséminés dans toute l’île (…), est l’opportunité d’un concept innovant ou l’on trouverait l’expression d’une Identité Nationale qui lui a toujours fait défaut d’un certain point de vue.

Trouvons L’opportunité d’une contemporanéité fondatrice et communiante.

DIMENSION ETHNIQUE

Le Projet porte-t-il un objectif national ?

Il est évident qu’une ville, quelle qu’elle soit, doit être dotée de son lieu de culture, de son lieu de rencontre, soustrait à la politique, à l’économie, à la religion etc… et dédié à l’expression de soi :

Fort dauphin, ou l’autre histoire de Madagascar (…), bénéficie de son Musée, et il n’a pas attendu des fonds colossaux pour exister, grâce à la volonté commune, face à quelques détracteurs, il existe et s’exprime.

Antananarivo, capitale : quid de son programme patrimonial ?

A la lumière des budgets régionaux, une refonte de la stratégie politique globale pour légitimer l’intervention de techniciens est nécessaire. Il existe une liste des biens à protéger.

Le Projet culturel doit être en chacun de nous.

IDENTITE / POLITIQUE / CADRE

L’ambition  des Projets présidentiels devrait être à la mesure des actions menées en ce sens. De l’enquête sur un incendie qui reste « supposément » criminel à un engagement –faible-en faveur d’une Politique patrimoniale cohérente, il faut tirer les leçons: Le Projet culturel doit être strictement réglementé.

Nous ne pouvons que constater aujourd’hui la déliquescence du site, de TOUS les sites dû au non-respect d’un zonage et d’une règlementation de la construction pourtant existante.

Toute demande de nouvelle construction dans la zone concernée devrait être strictement interdite et non dérogeable , les réhabilitations des maisons de type patrimonial devraient être subventionnées avec un Cahier de charge précis.

Une refonte des règle de constructions, d’urbanisme, des Cahiers de charge architecturaux sur les matériaux, les méthodes de construction, les Permis de construire, d’occuper, etc… est la condition de cette reconstruction et revalorisation :

Nous avons en notre possession tous les Documents techniques pour permettre cette mise en œuvre.

UN ENJEU ARCHITECTURAL , UN ENJEU URBAIN

Quand on parle du Rova, on ne peut éluder la question urbaine : le Rova est d’abord un ensemble, une succession de couches relatant les étapes de l’histoire Merina. Qui dit ensemble dit agencement, combinaison, composition, superposition, strates… Alors dans la volonté de reconstruction, il faut considérer la question d’une urbanité malgache : c’est tout un quartier que l’enceinte abrite.

Une notion Finalement assez peu vulgarisée.

La reconstruction ne peut concerner uniquement le Rova mais bien tout son environnement, et ce serait une erreur de ne considerer que l’intra muros.

Le Rova de Manjakamiadana est à la ville de Tananarive ce que l’Ile de la Cité est à Paris : l’origine de la ville, le point de départ de son développement.

Les 12 collines sont la projection d’une planification urbaine de notre moyen âge,

Les « elakelatrano » (entre deux maisons) sont une expression typique de la Haute ville avec ses poches collectives, expression d’un vivre ensemble et d’un espace partagé.

Autant de pistes à explorer pour une cohérence des « occupants » à leur l’espace.

Nous n’en avons qu’’une compréhension à la lumière des écrits des visiteurs, relatant leur impression, leur regard et non pas intrinsèque.

DE LA QUESTION DU MUSEE

Le Général Gallieni, envoyant la Reine en exil, en avait fait un Musée. Nous savons pourquoi : les stratégies de colonisation ont été savantes, mais au désavantage de l’intérêt malgache. Sans refaire le procès de l’Histoire, la notion muséale reste une approche bien problématique :

BIENS A EXPOSER

La problématique a été posée avec les appels discrets qui se sont levés lors de l’Exposition du quai Branly sur Madagascar : est-il possible de restituer les œuvres glanées par la colonie ?

ENJEU ARCHITECTURAL ET PATRIMOINE

Les Projets Mitterrandiens –qui ont vingt ans maintenant- n’ont à aucun moment hésité à prendre des risques pour gagner l’innovation et l’exception : Pyramide du Louvre, Arche de la Défense ont été précurseurs d’un nouveau souffle de créations architecturales insolentes et magnifiques.

La Haute ville désormais inscrite au Patrimoine universel appelle à de nouveaux concepts sur une zone particulière, incluant la problématique d’insertion urbaine dans un tissu dense.et revêt une problématique au niveau technique.

Je plaide pour un Projet intramuros et extra-muros, un Projet de reconquête du sacré, dont les alentours seraient le socle scenaristique ?

Je plaide pour un Mémorial avec de l’information, nourri d’explications et d’outils pour comprendre l’enjeu du site :

Comprendre la richesse d’un peuple, ses avatars successifs

Reconstruire à l’identique ? Innover en vue muséographique autours de l’ensemble historique? Régional ou national ? Un concept à reformuler…

Un Concours à ouvrir tant au niveau national qu’international.

La question du Patrimoine a été largement sous-estimée par tous les gouvernements successifs. Revenons sur la définition et interrogeons nous sur la compatibilité d’une notion finalement occidentale  au « syncrétisme » malgache.

Mesurons notre capacité a être les « gardiens du temple », et avançons sur les moyens architecturaux  de mettre en place une sécurité de biens et des espaces collectifs

Souhaitons prendre en compte un Patrimoine qui contribue a l’expression d’un paysage pittoresque propre. Belle initiative du ministre de la Culture  de lancer à propos du nécessaire aménagement de la Haute ville, désormais Site classé, un appel à suggestions et projets au niveau national. Ouvrons un Concours d’architecture d’envergure nationale et internationale, à l’instar de celui lancé dans les années 70-80 sur la Prolongation de l’Avenue de l’Indépendance, autour de la Gare de Soarano –déclacée tel le traditionnel Zoma– qui devait être transformé en Musée. Un Concours officiel ayant mobilisé de nombreuses Entreprises et Compétences et une certaine émulation populaire,  Concours remporté à l’époque par la SEIMAD. Nous en vivons encore…

Engageons-nous, prenons le risque, l’erreur c’est de ne rien faire.

Noely RATSIMIEBO, le 20 fevrier 2019