« Chaque matin, les hommes et les femmes qui prennent soin de la parcelle du réel qui leur est confiée, sont en train de sauver le monde, sans le savoir. »Christiane Singer
Il aura fallu attendre 2020, pour consacrer les architectes Lacaton&Vassal au Pritzker. L’année de la conscientisation d’une nécessaire économie du projet, …l’année du compte à rebours à l’envers marquant la limite de la consommation des ressources naturelles…
Un prix, qui, pour citer l’article du monde du 16 mars, Récompensera non pas une œuvre, mais une philosophie de l’architecture, l’insolence face à la notion d’un beau commun, en faveur d’un réel-luxe d’espace et de sens.
La pertinence de leur démarche, exposée lors d’une conférence donnée dans l’amphithéâtre de l’école d’architecture de Versailles par JP Vassal, il y a maintenant 20 ans passé, m’avaient convaincue, moi qui venais d’un pays où les pouvoirs public ont si peu de moyens pour l’architecture, et je ne parle pas que de moyens matériels : je fais allusion à un perpétuel état d’urgence, de pauvreté latente et persistante qui paralyse la créativité dans cette discipline, comme un écran qui nous empêche de voir puis de considérer la beauté simple dont la nature nous a pourtant doté sur cette île.
Nous ne sommes pas pauvres en culture, mais cette dernière ici n’a que très peu de moyens pour s’exprimer : l’architecture, reine des arts, dans un tel contexte est la dernière à être honorée.
Ainsi la culture du « non projet » exprimée par l’agence Lacaton&Vassal notamment pour aborder le projet de la place Léon Aucoc(1996), qui consistait si j’osais résumer, à convaincre un maitre d’œuvre à ne « rien faire » mais à apprécier la beauté du réel, m’est apparue comme une porte de service ingénieuse à emprunter pour faire avancer les choses avec peu de moyens.
Ce serait ceci dit réducteur de résumer leur démarche par cette simple idée de l’économie. Ce qui est fascinant, chez eux, c’est ce murmure discret de la raison, qui arrive à se faire entendre au milieu d’un orchestre d’égo et de consumérisme pour séduire, dans un pays qui possède tout, et pourtant en refuse non pas les moyens, la technologie, mais bien le superflu, pour exprimer un luxe, qu’ils définissent comme « la possibilité pour tous, de bénéficier de biens gratuits qui se font de plus en plus rare : qualité de l’air, de la lumière, et la liberté d’appropriation des espaces»: et je rajouterai, de réaliser des rêves d’espaces… en fait du bon sens, remettant l’humain au cœur du système.
Le parallèle que j’en faisais, avec ce qui m’attendait pour mon retour au pays après mes études, était celui de la possibilité d’œuvrer, sans avoir nécessairement les moyens si j’arrivais à garder le sens commun lié à l’utilité, et surtout, de s’affranchir des codes du beau, c’est-à-dire du style. Tout en prenant en compte un contexte culturel, politique, social etc différent : comment alors représenter une architecture « malgache », sorti du cottage évolué ou du classique poteau poutre ? Par exemple, à l’origine, n’y a-t-il pas la cosmogonie ?…
Alors que Ratsimiebo Henri, avec la DNOR (peu s’en souviennent : lui aussi était un homme discret) , œuvrait à la réhabilitation : du portail, de l’église et ses vitraux, de Mahitsielafanjaka , puis buttant sur l’achèvement de Besakana qui pourtant à ses yeux représentait le Graal de sa discipline, j’ai choisi, tout comme un bon nombre de collègues de cette génération d’architectes traumatisés de 1996 (année ou nous perdions ce patrimoine dans l’incendie), d’en présenter à mon tour un projet. Celui que je proposais à mon directeur d’étude de fin d’études, à savoir JP Vassal lui-même, en présence également de Jacques Lombard, chercheur à l’IRD à qui nous devons tant d’études anthropologiques sur Madagascar, pour ne citer qu’eux, concernait la question de la réhabilitation. Sous influence de ce dogme de l’épure, l’éloge du vide, m’est apparue comme la plus belle manière de préserver dans la conscience collective la dimension sacrée de ce lieu. Il m’apparut vain, d’essayer de combler inutilement un espace, qui, symboliquement, exprimait ce qu’il fallait admettre avoir perdu à jamais. Préserver la conscience de cette perte, n’était-ce pas « quelque chose » ?
D’aucuns diraient qu’on tient là un raisonnement au-delà des frontières de l’architecture. Cette réflexion m’a d’ailleurs été faite par un des membres du jury lors de la soutenance : représenter le sens, par l’espace, bien sûr que c’est de l’architecture ! Dût-t-il être représenté par le vide. Le vide qui interroge, le vide du constat. La réhabilitation du Rova, devait reposer sur son écrin, pour en garder la préciosité : la valeur du temps perdu.
Lors de cette conférence, il y a maintenant 20 ans passé, Les premiers mots de JP Vassal à une salle comble d’étudiants, furent : Au commencement, il y a un toit, un abri. Mon abri, est culturel.